le logo de défi levant

article de Patrice Sola 1997

paru dans
Vol Libre n°258
date de publication
janvier 1998
auteur du texte
Patrice Sola
auteur des image
Jean Souviron

Allons voir où le soleil se lève, c’est avec cette idée que Jean Souviron à imaginé le Défi levant. Voler vers l’est, chaque jour plus loin, défier le vent aujourd’hui et l’utiliser demain pour un jour atteindre le levant en partant comme il se doit, d’un lieu de départ de courses au long cours sur la côte atlantique

Chaque année, durant une dizaine de jours, le groupe de pilote se réunira, et, assisté de l’ULM remorqueur et des chauffeurs récupérateurs, il effectuera une partie du voyage décollant chaque jour du point d’atterrissage atteint la veille. L’année suivante, le groupe reprendra son périple depuis le point d’arrêt du voyage de l’année précédente.

Jean Souviron établit les règles de calcul des points de redécollage, faisant en sorte que les vols de chaque pilote soient pris en compte et que chaque nouveau départ soit obligatoirement situé sur un lieu ayant été survolé la veille. Les formules suivies de deux pages d'explications et de schémas font partie du domaine du paranormal, j'imagine que si nous les gravons sur des menhirs, les générations futures penseront, en les trouvant, à la visite de civilisations extra-terrestres. Jean, Bruno Capelle, Emmanuel de Chalandar, Nicolas Maury, Joël Marciel, Philippe Camensuli, Vincent Chaumeton seront les pilotes delta, Philippe Guirquinger le pilote remorqueur, Pascal Michel, Bernard et moi même les récupérateurs.

Samedi 21 juin. Tout est prêt pour le départ, sauf certains détails. En gros, l'organisation est parfaite dans les esprits, la motivation est là, le reste sera réglé plus tard. L'après-midi, réunion chez Jean, nous téléphonons désespérément à tous les serveurs météo de France, mais tous nous donnent la même info : apocalypse sur le pays, la pluie fait monter le niveau des mers et le vent couche les montagnes. Pas de problème, on attendra ce soir le bulletin télé, celui-là au moins c'est du sérieux. Effectivement, la carte de 20h 30 laisse apparaître quelques hypothétiques rayons de soleil sur la façade ouest de la France, aussitôt interprétés comme l'annonce d'une journée fumante. C'est décidé : départ cette nuit, rendez-vous à 23h 30 chez Jean. Sous la pluie et dans la boue nous réglons les derniers détails, bâcher l'ULM, l’installer sur la remorque, charger la voiture, attacher les ailes, soit environs 150 mètres de bouts de ficelle, et quelques sacs en plastique. 1H 00 : Nicolas arrive avec la voiture qui remorquera l'ULM, et c'est reparti, charger la voiture, attacher les ailes, aie ! Il manque une échelle, pas de problème, Jean file dans son atelier et nous revient 10 minutes plus tard avec une magnifique planche percée de quatre trous qui permettront de passer les sangles pour solidariser l'ensemble sur les barres de toit, mince ! Les barres ne tiennent pas, pourtant Nicolas se souvient parfaitement avoir vu étant petit, ses parents transporter un énorme bateau sur ces mêmes barres, 200 kg au moins, c'est vrai, quand on est petit tous les bateaux sont gros. Jean file de nouveau dans son atelier et revient 30 minutes plus tard avec 4 renforts métalliques sur mesure, incroyable. M..., il manque des sangles, pas grave il reste encore 50 mètres de ficelle, après il faudra commencer à piquer des morceaux sur la ligne de remorquage, je rêve, réveillez-moi !!!

Trois heures, nous terminons le chargement et l'on entend quelqu'un dire : "il faut penser à prendre la roue de secours de la remorque". Nous partons, Vincent et Philippe s'endorment rapidement, Pascal survit en mangeant des sucreries, et je conduis ou plutôt je m'accroche aux feux arrière de la remorque tirée par la voiture de Nicolas, Jean et Joël.Cinq heures, nous arrivons au péage de Bordeaux. Joël par radio prend des nouvelles de l'état des passagers de ma voiture, tous dorment, "hi,hi,hi ! tu devrais leurs dire que tu as deux pneus crevés et qu'il n'y a pas de roue de secours, ha,ha,ha", je regarde horrifié la roue gauche de la remorque, le pneu tente de s'échapper :"Joël, je crois que c'est toi qui a un pneu crevé." Arrêt à la sortie de l'autoroute, et comme racontera plus tard Philippe : " on n'avait pas pris la roue de secours, pourtant elle était là la roue, sous nos yeux, ronde, gonflée, dure !!!". Après une visite infructueuse aux stations service proches, Jean, Joël et Nicolas finissent par démonter un des pneus de l'ULM pour en récupérer la chambre à air et réparer la remorque : temps total 1 heure, ces types sont incroyables.

Six heures, nouveau départ et le trajet se poursuit sans incident majeur (enfin je veux dire pas de tremblement de terre ou de truc comme ça). Emmanuel nous rejoint à Niort, le pauvre, il a l'air heureux, il ne sait pas encore dans quoi il s'est fourré. Nouvel arrêt sur l'autoroute, on fait le point météo, et enfin au bout de longues discussions, le lieu de décollage est choisi : le petit village de Bouin dans le marais de Machecoul à deux kilomètres de la plage, face à l'île de Noirmoutier. Après deux ans d’arrêt du vol libre, j’espérais profiter de cette aventure pour me replonger dans l’activité, c’est décidé, à mon retour je m’inscrit à l’amicale des pétanqueurs du coin.

Aux environs de 12 heures, nous arrivons sur ce spot du vol libre mondialement connu, pluie, vent entre 30 et 40 km/h, le marais partout, c'est parfait, ici au moins on est sûr que ça ne peut pas voler. L'après midi passe à la recherche d'un terrain de décollage d'abord, et de son propriétaire ensuite, qui nous donnera enfin l'autorisation de l'utiliser après une bonne heure de négociations bien arrosées, hic ! Bruno, Bernard et Philippe nous rejoignent en fin de journée : "vous avez fait bon voyage ?". Lundi 23 juin, les ailes sont ouvertes, l'ULM est chaud, le ciel magnifique, un tracteur passe, s'arrête, un homme en descend et lance : "qu'est ce que vous faites dans ce champ ?" nous lui expliquons, notre rencontre avec le propriétaire mais il nous répond : "le propriétaire c'est moi, celui que vous avez vu hier a bien un champ mais ce n'est pas celui-là, pliez vos tentes (aile delta vue de loin) et arrêtez de piétiner mon herbe". Négociations, discussions, finalement ce sympathique agriculteur rassemble l'herbe coupée de part et d'autre du champ et nous donne sa bénédiction.

Il est 16 heures quand les premiers remorqués débutent, et il faut aller chercher les cumulus si loin qu'après avoir largué Jean, Philippe, notre pilote remorqueur nous annonce par radio qu'il ne retrouve plus le terrain, quelques petits tours en l'air plus tard, il rentrera soulagé.

Alors là je n'y crois pas, un plafond à 700 mètres, des conditions lamentables et malgré ça Vincent, Philippe, Emmanuel et Jean se posent entre 20 et 70 Kilomètres plus loin, on est sorti du terrible marais de "Machecouille" dira Bruno.

Récupération animée, Vincent est retrouvé dans une étable où il a entamé un stage d’apprentissage de la traite des vaches et Philippe confortablement installé dans un café à Lagarnache, m’entend lui lancer des appels radio au travers des hauts parleurs de sonorisation mis en place pour la fête du village, encore un mystère de la technologie. Rassemblement dans un café pour arroser la journée et calculer le point de décollage du lendemain : Poiré sur Vie. Alors là c'est merveilleux, une organisation parfaite, le terrain est trouvé aussitôt, avec son propriétaire qui donne son accord, Bruno a localisé un magnifique lieu de bivouac et nous finissons la soirée dans un petit restaurant ou l'adorable patron acceptera de nous servir aux alentours de minuit.

Mardi 24 Juin, alors que nous savourons notre petit déjeuner aux alentours de midi, grasse mâtiné oblige, Pascal, qui a obtenu que France 3 effectue un reportage sur notre expédition, il use de toute sa diplomatie afin de les faire patienter en attendant notre arrivée. Enfin nous voilà, les ailes sont dépliées en quelques instants, et Jean ouvre la journée avec un décollage un peu précoce, 8/8 de cumulus plafond 1200 mètres, le vent n'est pas vraiment établi, il se pose 15 kilomètres plus loin après avoir choisi un champ d'où un redécollage serait possible. Malheureusement, l'épaisseur d'herbe coupée rend le terrain impraticable, c'est alors que le miracle a lieu, l'agriculteur propriétaire passant par là, Jean lui explique la situation et cet homme d'une gentillesse infinie entreprend de dégager une bande suffisamment longue à l'aide des fourches fixées à son tracteur. Finalement Jean sera récupéré et redécollera avec les autres de Poiré sur Vie.

Les sept pilotes sont en l'air, il n'y a plus que 7/8 de cumulus (petits trous pas vraiment bleus entre les nuages) mais une couche de cirrus annonçant l'arrivée d'un front, bloque l'activité thermique. Les conditions ne sont pas brillantes. Malgré tout, ils se poseront entre 20 et 60 kilomètres du décollage, aux Essarts, Epesses, Pouzauges et la Châtaigneraie. La récup est un peu laborieuse, nous regardons, dans un café à 20 kilomètres de Poiré, le reportage sur France 3 Vendée qui annonce : "ils sont ingénieurs, chercheurs, professeurs, deltaculteurs, et ont entrepris un tour du monde en delta au départ de notre région" bon d'accord on n'a pas beaucoup avancé, mais on ne leur dira pas.

Rassemblement à Pouzauge, restau à minuit, pour changer, et nous passons la nuit en rêvant à l'étape du lendemain, les kilomètres enfin. Mercredi 25 Juin, réveillés par le doux clapotis de la pluie nous sortons des tentes désespérés. Jean téléphone à la météo qui prévoie la fin du monde pour les jours qui viennent, la décision est prise : nous rentrons. De toute façon, nous laissons l'ULM à l'aérodrome de la Roche sur Yon, nous serons ainsi prêts à redémarrer dés que les conditions s'amélioreront.

Jean s'est attaché à constituer une équipe par affinités, j'y ai rencontré des pilotes et non volants tous formidables et la motivation qui nous poussait au départ n'a fait que croître au fil de cette aventure. Bon, d'accord, la météo n'a pas voulu, mais le défi levant c'est aujourd'hui quelques sauts de puce et demain des pas de géant. Un immense merci aux supers agriculteurs de Vendée, aux restaurateurs à qui on a fait faire des heures sup, chez qui on a installé la montagne d'accus à recharger pour la nuit, à ce gars au café de Poiré chez qui aussi on à laissé pour la nuit notre paquet de chargeurs, à tous ceux qui sont venus nous voir sur les décollages, à l'équipe de France 3 Vendée pour sa patience. Merci aussi à tous les participants au défi levant, (et dire que j'ai failli faire de la pétanque). Ce projet, en plus d'être une extraordinaire aventure, est avant tout une vitrine du vol libre qui en traversant les régions assure la promotion de notre activité. Les gens qui nous ont rencontrés auront gardés une image du vol libre changée : "non, non, ils ne sautent pas avec leurs delta, ils voyagent !!!".

Patrice Sola